Jean Roulland , ou le "Tribunal des Ombres"    
       
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   
 

 

 

Je n’ai jamais pu regarder une œuvre de Jean Roulland sans me sentir entraîné par le monde surnaturel: le monde où , tel un lutin , un esprit , un génie de la forêt il évolue avec une souveraine et (lâchons le mot) diabolique aisance. Les Bronzes, déchiquetés, intériorisés en leurs regards creux, issus d’une pensée à la fois pessimiste et compatissante, avec leurs visages de larmes, convulsés en leur forme et en leur dessein semblent regarder d’implacables témoins, à travers un mur invisible, au delà des apparences.

Si je me remémore notre exposition de 1984 qui avait à la fois effrayé et séduit un public de connaisseurs et de critiques d’Art, le simple énoncé des titres ressemble à une incantation à la fois magique, sacramentelle et maléfique: Visage lunaire - Le Fou -L’Homme sanglant- La Peste - Apparition - Danse Macabre - Le Suaire - Hara-Kiri, et encore Le Gisant - le Punk - Le Zombie - Le Christ de Verdun - Zarathoustra - La Faim.

Lorsque l’on assiste, en spectateur, au cinéma permanent de l’horreur, impudiquement étalée, de notre pauvre univers d’hommes impuissants et asservis, on saisit tout le coté prémonitoire et inspiré de Jean Roulland . . . .

Celui qui sillonna l’Amérique du Sud, de Mexico à Guadalajara et l’Europe de Recklinghausen à Padoue, en triomphant au passage à Lausanne, comme à Copenhague et à Paris; celui qui, avec la “ Bête écorchée “ obtint en 1980 le grand Prix du Japon et vit son œuvre exposée dans les jardins de Plein Air d’Hakone, impose un Art, violent et accusateur dans les bronzes, mais déchirant et subtil dans les céramiques et les pastels.

Il est sans aucun doute le créateur le plus personnel et le plus indiscutable des sculpteurs d’expression contemporaine. Son Art ne doit rien au hasard, mais tout à la Vérité (sa Vérité) et à la Volonté. Paraphrasant Van Gogh, on peut s’exclamer à propos de Jean Roulland :

Where there is a Way, There is a Will “ , -” où il y a un chemin , il y a une volonté “-

Mais les œuvres de Roulland si frappantes dans leur mystère, avec leur bouche d’ombre, leur haleine embrasée, leur rutilance retenue, rayonnent comme la pierre philosophale des alchimistes, comme un Graal toujours redécouvert.

Ces visages qui ne vont pas jusqu’au bout de leur cri, acceptent qu’on les contemple, mais à leur tour nous regardent, nous soupèsent et nous jugent .

Ils m’évoquaient irrésistiblement ce poème mélodique des tribus pygmées:

Les portes de la grotte des morts sont fermées

Quand la nuit s’est faite toute noire

Quand le soleil a disparu

Quand les mouches volent en essaim,

Tourbillon de feuilles mortes

Dans un orage hurlant

Elles attendent celui qui viendra

Qui dira à l’un “ viens “

A l’autre “ va “

Et Kvum sera auprès de ses enfants

et c’est la fin . . . “

Les visages, bronzes ou pastels de J Roulland, ces visages-plaintes, angoissés et douloureux, envoûtants et hallucinés, ces visages qui nous dévisagent , ce carrousel immobile et endiablé, c’est assis, statique, présent, incorruptible et terrible ( ici passe la barque chargée de morts du nautonier Charon)

Voyez ! Voyez ! Voyez ! Voyez ! Là, devant vous, siège le “ Tribunal des Ombres “.

 

Texte de Raphaël-Georges Mischkind , Lille , Janvier 1991

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

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