L’ Humanité de bronze de Jean ROULLAND    
       
                                                                         
 

 

 

 

Entrer dans l’univers du sculpteur Jean Roulland, c’est se confronter à l’homme nu, le rejoindre dans les abysses originels et le suivre dans sa tentative désespérée d’atteindre la lumière. Voilà quarante ans que Jean Roulland, se situant entre «  fureur et mystère » pour reprendre une expression de René Char qui colle si bien à son entreprise rédemptrice, est à l’écoute de l’homme qui n’en finit pas de hurler sa peur. C’est ce parcours que l’exposition reprend avec des bronzes, des terres cuites ainsi que des pastels et des aquarelles souvent inédits de 1970 à nos jours.

Une vision de l’Homme sur lui-même

Roulland cherche la beauté dans la vérité de l’homme. Son humanité de bronze se compose de ces corps arrachés à la gangue primitive, présence qui gardent sur leur peau d’airain patinée les blessures, les stigmates de l’angoisse et de l’espoir, de la douleur et de la joie, les mutilations du temps. Et ce n’est pas fortuit si Roulland fond toujours lui-même sa première pièce. La vie jaillit des pressions qu’il exerce sur la terre, magma incandescent auquel il confère la pérennité. Il quête ces formes insaisissables dont la tension figée finale sera la conséquence de la technique de la fonte qui « laisse plus de place à l’imaginaire », nous dit Roulland.

Avec ses premiers bronzes comme Buste et Torse de 1963, il rejoint la grande tradition de Michel-Ange et de Rodin dont il se libèrera progressivement. S’il continue en effet de construire dans le volume dont il anime les plans par la lumière, il s’impose une économie de moyens qui l’amène naturellement à une exactitude des expressions et des attitudes. Il acquiert une liberté hallucinante comme en témoignent Tête couchée de 1970 ou encore cette étude pour le Cardinal Liénart (1984), une commande de la ville de Lille.

La sculpture de Jean Roulland est une vision de l’homme sur lui-même. Là peut-être se situe son indécence. Elle est un défi et un cri, mais un cri d’amour, ne nous y trompons pas. Dans sa fascination à engendrer des formes, l’artiste est l’ordonnateur d’une fabuleuse typologie. Ces figures humanoïdes sont des portraits réels ou surgis de ses songes. Il veut en ravir la substance intime la plus expressive, la plus secrète. Les observations quasi cliniques auxquelles il donne une équivalence plastique ne sont jamais aussi bouleversantes que dans les série de têtes. Celle toute récente qui en compte 16 et à la quelle répond 5 têtes en terre cuite met l’âme à vif. Dans la distorsion formelle qui frise le baroque, Jean Roulland immobilise cette beauté mystérieuse qu’il nous offre comme si c’était notre propre reflet dans le miroir.

Exorciser le tragique

Avec les pastels, plus intimes, nous retrouvons ce combat entre les forces contraires. Le trait énergique, les balafres parallèles pour installer le volume et le contraste coloré d’une palette où dominent les bleus, les jaunes et les terres tentent d’exorciser le tragique de l’homme. Roulland dessille nos yeux en conjurant nos démons. D’une confrontation, d’un face à face avec l’œuvre surgit alors  espoir. L’exubérance vitale qui secoue tous ces corps et ces visages est l’expression d’un classicisme supplicié. Tel Héphaïstos dans sa forge, Jean Roulland crée un monde. Le cortège de ces êtres marqués par une détresse affolée parce qu’irréversible a fait escale à la Galerie Henry Bussière comme en 1998. Gageons que ces être traqués, aux visages informes dans lesquels une bouche béante, une pupille virtuelle et des orbites géantes éclairent une face aussitôt reprise par la masse d’un corps pétri dans une ombre profonde, sauront entreprendre un dialogue avec leurs frères. Roulland, le démiurge, est en phase de racheter l’ange déchu.

Lydia Harambourg

In « La Gazette de l’Hôtel Drouot », 17 janvier 2003, N°2, p140-141

   
       
       
       
       
       
       
       
               
 

 

 

 

 

     
       
       
       
       
       
       
       
       
       
 

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   The Bronze Humanity of Jean Roulland    
       
                 
           

Entering the universe of the sculptor Jean Roulland is facing the naked man, joining him in his desperate attempt to reach the light. It has been forty years that Jean Roulland, who has been standing between “fury and mystery”, to take up an expression from René Char which defines so well his redemptive venture, is listening to the Man who never finishes yelling his fear. This is this particular journey that the exhibition sums up with bronze and terracottas sculptures, as well as pastels and aquarelles often never seen from 1970 to nowadays.

A Vision of the Man upon Himsel

Roulland looks for beauty in the truth of man. His Bronze Humanity is composed of these bodies taken away from the primitive gangue, presences who keep, on their bronze skin, the injuries, the scars of anguish and hope, pain and joy, mutilations of time. And the fact that Roulland always melts his first piece himself is not fortuitous. Life springs from the pressure he exerts on the earth, incandescent magma which he gives permanence to. He searches for these imperceptible shapes which the final stiff tension will be the consequence of the melting technique which “lets more place to the imaginary” Roulland tells us.

 With his first 1963 bronzes as Buste and Torse , he joins Michel Ange and Rodin’s huge tradition of which he freed himself progressively. Indeed, if he continues to build in the volume, he imposes to himself a funding saving, which leads him naturally to an exactitude of expression and attitude. He acquires a staggering freedom, as testifies Tête Couchée (1970), or this 1984 study for the Cardinal Liénard, ordered by the city of Lille.

Jean Roulland’s sculpture is a vision of the man upon himself. His indecence may come from there. It is a challenge and a cry, a cry of love , let us not make that mistake. In his fascination to create shapes, the artist is the coordinator of a fabulous typology. These humanoid faces are real portraits, or arisen from his thoughts. He wants to snatch the most secret, the most expressive intimate substance from it. The almost medical observation to which he gives a plastic equivalence are not as moving as in his series of heads. The latest one, which is composed of 16 heads, 5 of which are terracottas, cuts the soul open. In his formal distortion which is close to baroque, Jean Roulland immobilizes this mysterious beauty, that he puts forward as if it was our own reflection in a mirror.

To Exorcise the Tragic

With pastels works, more intimate, we rediscover the fight between opposite forces. The energetic line, the parallel scars to install the volume and the colourful contrast of a palette dominated by blues, yellows, and grounds attempting to exorcise the tragedy of man. Roulland catches our eyes evasing our demons. The confrontation, a face to face with the work of art makes hope spring out. The vital exuberance which shakes these forces is the expression of a tortured classicism. Like Héphaïstos in his work shop, Jean Roulland creates a world. The procession of these beings marked by a mad distress for being irreversible, stop of at the Henry Bussière Gallery like in 1998. We could bet that these hunted beings, with disformed faces in which an open mouth, a virtual pupil and giant eyes light up a face taken straight away by the weight of a petrified body in a deep shadow will be able to take up a dialog with their brothers. Roulland, the Great Creator is in middle of redempting the fallen angel.

 

 Lydia Harambourg

in “ La Gazette de l’Hôtel Drouot” n°2, 2003, january,17th  (Translation : Diane Evrard et Jordan Declercq)