L’ascétisme de la Douleur    
       
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   
 

 

 

 

Jean Roulland a poursuivi jusqu’à ce jour l’accomplissement de son œuvre suivant une ligne de force d’une implacable rigueur .

Le premier, Claude Bernard Haim a pressenti la qualité de l’œuvre dont l’apparente laideur dissimulait la beauté plastique. Le monde où nous introduit le sculpteur n’est pas celui de la sérénité mais celui de la souffrance, de l’agonie sans espoir.

De cet enfer surgissent des êtres tourmentés, marqués par les stigmates de toutes les douleurs. L’homme est terrassé par la fatalité d’une inexorable détresse, sans rémission, proie d’une Némésis triomphante qui a patiemment anéanti sa force vitale.

Le Triomphe de la Mort de Jean Roulland impose à l’esprit le retour vers les Danses macabres médiévales.

L’acte de renoncement à la facilité est le plus complètement accompli avec l’image du Christ abandonné sur le poteau de son supplice, le torse privé de vie incliné en avant. Son profil révèle l’intensité d’une recherche de la ligne génératrice d’émotion mais le Christ du Musée de Calais évoque peut être plus puissamment l’agonie du Golgotha. Les figures d’Hommes-Volants font penser à quelque apparition d’un Icare ressuscité surgissant des écharpes de brume d’un crépuscule flamand. Le sculpteur perçoit avec la même acuité le chant de détresse du monde animal . L’épuisement d’un chien, l’agonie d’un cheval - ces deux premiers compagnons de l’homme depuis les temps préhistoriques - ouvrent la voie à l’interprétation pathétique d’émotions nouvelles .

Quelles peuvent être les sources ou plus exactement avec quels courants d’idées l’art de Jean Roulland peut - il être confronté? La première image qui s’impose est celle de l’expressionnisme. Il ressent comme James Ensor la fatalité du destin, comme Edward Munch la misère de la condition humaine . Son esthétique de la laideur, le goût du monstrueux s’apparentent aux visions les plus terrifiantes de Goya. Quant aux têtes de caractère souvent monumentales, elles ont la puissance caricaturale des petites esquisses de Daumier, modelée avec la même vigueur agressive.

L’ascétisme de la douleur a inspiré les plus belles images du Rédempteur crucifié, du Moyen âge à Germaine Richier et c’est avec celle-ci que Jean Roulland a sans doute le plus d’affinités. Né en 1931, son adolescence a entendu les récits des rescapés de l’univers concentrationnaire, il a vu leurs silhouettes décharnées, incarnation de la souffrance aux limites de la mort et de la vie, l’impression est demeurée en lui comme le caractère essentiel de notre temps dominé par la violence .

L’œuvre sculptée est complétée par l’œuvre graphique . Les dessins noirs ou colorés ont la puissance tragique du visionnaire obsédé par le martyre.

Un portrait même rapide de l’artiste serait incomplet si son activité de fondeur était passée sous silence. Auprès de la maison familiale, l’atelier du fondeur se confond avec l’atelier du sculpteur. Artisan autodidacte, c’est à partir de sa propre expérience qu’il a mis au point sa propre technique de la cire perdue.

Il a maîtrisé les débordements de l’apprenti-sorcier et la coulée du bronze avec la part d’inconnue qu’elle réserve, renouvelle pour lui le mystère de la création.

Vif et enjoué, le visage éclairé par un sourire juvénile, nuancé d’ironie, toujours disponible pour de nouveaux départs à la découverte de l’inconnu, Jean Roulland exorcise ses démons intérieurs par l’invention d’un univers apocalyptique, irrationnel et bouleversant .


 

Cécile Goldscheider, 1972

( Conservateur en chef honoraire des Musées Nationaux )

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

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Jean Roulland

La représentation du monstre, symbole de mal, qui choque la raison éprise de beauté idéale, apporte le témoignage de l’inquiétude de l’homme de tous les temps en présence du surnaturel. Vision révélatrice des tourments de l’âme , elle domine l’œuvre de Jean Roulland. La personnalité du jeune artiste n’a cessé de s’affirmer depuis plusieurs années; les prix Rodin et Cécile Lenchener qui lui ont été décernés en 1972 ont marqué la reconnaissance de son talent exempt de toute facilité.

Ses dessins et ses pastels apportent une réponse aux questions posées par ses sculptures. La violence de certains coloris correspond à la brutalité du modelé aux prises avec la matière, le trait qui enveloppe les volumes révèle la rude discipline du sculpteur pour suggérer le creux et la bosse .

On ne peut s’empêcher de penser à l’univers fantastique de Goya, aux hallucinations colorées d’Odilon Redon, à l’horreur de Guernica en regardant ces masques tourmentés, images morbides d’une société en proie à toutes les formes de la violence qui laisse si peu de place à l’espoir.

Par la forme et la couleur, l’Art de Jean Roulland exprime bien l’angoisse du monde moderne .

Cécile Goldscheider,, 1974

Conservateur en chef honoraire des Musées Nationaux