40 ans à 1180° Celsius    
       
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   
 

 

Enfin voilà, après ton exposition du Palais des Beaux-Arts de Lille, nous voici à nouveau au seuil de  ces instants de la vie que, l’un et l’autre, nous souhaiterions voir partagés par un plus grand nombre. Mais nous savons aussi, que beaucoup sont déroutés, déstabilisés, voire effarés, effrayés face à ton œuvre. Certes celle-ci ne rentre pas dans le champ défini et orchestré par quelques médiateurs claniques officiels et officieux, qui tentent de réduire l’art à des « icônes » identifiables, reconnaissables, acceptables par un public plus large. Ton œuvre n’est pas ludique (ludus, jeu), mais l’art devrait-il n’avoir affaire qu’avec le jeu, même s’il peut au demeurant, être joyeux, voire léger ? Le système régressif actuel – retour à un stade antérieur du développement affectif et mental -, qui conduit progressivement les individus vers le ludus pour les détourner de leurs propres réflexions, choix et rêves qui ne nous concerne ni toi ni moi. Il faut dire que ton œuvre, sans concession aucune, ni provocation, s’adresse avant tout à celles et à ceux qui ont un minimum de savoir de l’histoire de la sculpture et de la forme, à ceux, qui tentent de trouver le sommeil en gardant les yeux ouverts, qui connaissent quelque peu la rude terre, le ciel et la mer qui t’ont accueilli. Mais, fils de Jupiter et de Junon, tu t’es aussi emparé du feu, qui depuis ne t’a jamais quitté.

 

Que n’ai-je entendu à propos de ton œuvre :  morbide, mortifère, malsaine, sculptures mi-monstres, mi-bêtes ! Que dire à  ces aveugles qui sirotent dans leur canapé devant l’écran des horreurs quotidiennes ? A celles et à ceux qui consomment l’art comme leur vie, au rayon du surgelé ? Et qui devant l’un de tes bronzes ou l’une de tes terres cuites, sont glacés de terreur, traversés un instant par leur propre effroi ? Les mêmes, à la recherche d’exotisme (single compris), rassurés dans l’espace muséal, défilent, caméscope rivé à leurs orbites, devant les Peintures noires de Goya, l’Enfer de Bosch, le Guernica de Picasso, le Christ de Grünewald, les fresques de Lucas Signorelli (vin blanc non compris) sans percevoir l’extraordinaire lien qui t’unit à ces artistes. D’ailleurs que-voient ils ?…Comment leur faire ressentir l’incommensurable humanité qui habite ton œuvre ?

 

Grâce à toi, à ces artistes, des humbles, des déchus, des laissés-pour-compte sont tirés de l’oubli, sont réhabilités dans le cycle de la vie. Qui se souviendrait de la Servante de ferme, de Mme Lamouche, de Marie-José, de Catherine, si tu ne les avais extraits de l’anonymat afin de les sauver ? Tu nous permets de ne pas oublier.

 

Comme Music l’a fait dans la suite Nous ne sommes pas les derniers, Rebeyrolle dans le cycle Le Monétarisme, un certain Vincent dans les dessins du Borinage, voire Rustin ou Géricault dans son Radeau de la Méduse, tu nous accordes et nous donne le droit de savoir et de voir. Tu es le contrepoids, le contre-pouvoir des images fabriquées par les publicitaires culturels asservis à un ministère plus proche de la propagande que de la culture. Comment pouvoir prétendre à la connaissance et au savoir dans l’ignorance et l’oubli.

 

A nous de nous approcher, de découvrir, de débusquer dans ces chairs meurtries, dans ces corps fatigués, dans ces bouches rebelles, l’extraordinaire sensualité, la compassion, la miséricorde et la bonté que tu as insufflées dans le bronze et révélées au monde des voyants. Ne serait-ce pas cela, l’une des « fonctions «  de l’art ? nous entretenir de l’humanité telle qu’elle se présente, se représente, et non comme tel prince ou pouvoir voudrait qu’elle fût - avec masques liftés et corps aseptisés -  grâce à l’habile complicité de certains « artistes » simples passagers de l’histoire de l’art ? Je sais, tes préoccupations sont ailleurs, mais un jour, regarde les catalogues des foires d’art, un véritable Père-Lachaise.

 

Je crois mon cher jean que tu te trouves à l’exact point de focalisation de ce que nous sommes, mi-anges, mi-démons, et qu’ainsi tu as la gloire, le pouvoir d’aider quelques-uns d’entre nous à regarder la grandeur et les mystères du monde animal, végétal, minéral et humain comme une confraternité. Ainsi je te perçois plus proche de l’animisme, voire du chamanisme, que du mysticisme misérabiliste, dans lequel certains se sont empressés de te cataloguer.

 

Et puis, à quoi bon s’embarrasser avec ces empêcheurs de regarder droit, les yeux grands ouverts face au monde, face aux hommes ? Leur  vue à 37° est trop éloignée des 1 180° Celsius qui brûlent ta vie et liquéfient le bronze. Il vaut mieux boire un verre d’Orvieto entre amis assumant leurs responsabilités respectives, qui oeuvrent au mouvement et au désordre, donc à la vie.

 

    Voilà, mon cher Jean,  ce que je voulais te dire, je sais toute la tension qui va naître maintenant. Fais attention à la température , ne pousse pas trop le four, prends soin de Marie et de toi. Bien à toi, henry.

1 novembre 2002

Henri Bussières    

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

 

   
 

 

   
   

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

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