OUTRAGEUSEMENT NAÏVES...    
       
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   
 

 

 

 

Outrageusement naïves, les sculptures de Jean Roulland le sont certes vis a vis de la plupart de celles d’aujourd’hui, mais bien moins encore qu’il ne l’est lui même, tel qu’il parait en tout cas quand il parle de son art, en artisan mystique, dédaigneux des “problèmes de l’art moderne.

C’est qu’il y a - c’est normal - plus de vie dans qu’il fait qu’il ne peut en mettre dans ce qu’il dit, voire dans la conscience qu’il a de soi et de ses buts.

Et d’abord cette naïveté, dont nous n’éprouverions autrement que l’inadéquation - insultante à notre réel à nous - sa sculpture l’incorpore à une science , à une tenue , à un achèvement indiscutable.

On est loin cependant de l’application des peintres naïfs, grâce à laquelle la naïveté se garde d’être prise trop au sérieux, mais aussi se perd du même coup une part de sa puissance de choc.

Roulland est certes un grand “appliqué”, mais au sens de la maxime de Poussin, qu’ »il ne faut rien négliger » de toutes les ressources de la sculpture, du « métier », et dans la mesure où il s’y emploie avec plus de volonté que de virtuosité naïve.

Mais cette virtuosité conquise, et elle l’est pleinement aujourd’hui, il la met au service d’une expression tout aussi complète, aux aspects les plus authentiquement contradictoires: ouverte et close, follement expressionniste et plastiquement stable, tributaire, en apparence, du détail “vu” et, non moins d’une irrésistible impulsion intérieure.

Nul doute que les tièdes et les purs esthètes ne verront rien de nouveau dans cette aspiration à un pathétique recueilli, où le cri refuse de se faire musique, sans que, pour autant, la mesure soit enfreinte.

La question est peut être de savoir si cet appel est, ou non , le plus profond de l’art , et s’il en est beaucoup qui savent y répondre aujourd’hui .

Savoir si, par exemple, vis -à-vis de Rodin ou de Brancusi (pour ne citer que ces deux derniers “grands” de cette voie), il en est beaucoup qui ne pensent pas d’abord à “faire autre chose” pour “faire autre chose, plutôt que de faire la même chose autrement , aussi bien .

Je crois pour ma part, que Jean Roulland est de ces quelques créateurs qui, parce qu’ils sont réellement tels, ne peuvent ni ne veulent renier le passé. De façon plus calmement audacieuse que tout autre, même, parmi les rares jeunes artistes de même classe, il me parait avec des œuvres comme son “Christ Mort”, prendre le contre-pied de l’insignifiance tant répandue par la dernière en date des « néo-figurations ».

Non sans partir, certes, d’un même refus de l’esthétisme. Ici, ( je pense au “Christ mort” ), comme dans le  »pop’art » le plus percutant, on ne peut à coup sûr faire abstraction de ce qui est représenté; ne pas le voir de façon purement humaine, « réaliste ». Cependant nous avons conscience d’éprouver autre chose : ce qu’on éprouverait devant un cadavre de torturé si l’on était capable de voir vraiment , dans le même éclair, tout ce qui est réel. Et - cela ne peut être alors que par distraction- si l’on regarde aussi cette sculpture comme une forme, expression aboutie d’une recherche plastique, cette forme ne satisfait pas.

Elle nous parait témoigner de toutes les ressources de l’art, de la vie, sauf d’une : la faculté d’en jouir.

Heureuse aberration pour qui n’ a pas peur de l’art et de la vie mis à nu ; heureuse faute qui le ramène, à la même seconde, au sujet même de la sculpture, et du coup, à cette évidence énorme - pas tellement bonne à clamer aujourd’hui , où l’on se fait le plus souvent de l’art un refuge contre la vérité - que le beau ne serait être autre chose que la « splendeur du vrai » .

Bien sûr, le sujet de cette œuvre est particulièrement favorable à une telle mise en lumière, et toutes les œuvres récentes de Jean Roulland sont aussi révélatrices pour qui sait voir, comme d’ailleurs celle des autres jeunes sculpteurs auxquels je pensais tout à l’heure .

Il reste que Jean Roulland, parce que de son propre aveu , il « croit », pouvait seul, peut-être affronter avec cette paisible assurance - naïve- irritante, j’y consens - les risques du scandale.

Je laisse aux critiques le soin de vérifier que les qualités « plastiques «  de sa sculpture témoignent d’une compréhension égale de la vision centrifuge de Rodin et de la vision centripète de Brancusi, et qu’il n’était pas possible, avant l’un et l’autre ( ni avant Richier ou Giacometti ) de fondre ces deux visions avec tant de liberté et de naturelle franchise .

Jacques Bornibus, conservateur du Musée des beaux-arts de Tourcoing ,

in Catalogue de l’exposition “ Jean Roulland “ Galerie Claude Bernard, Paris, avril 1966

 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

   
 

©